Des
arpètes Formidables
Extrait adapté du récit Souvenirs d’un membre d’équipage : Vidange en plein ciel
LEROY déplace le levier pendant que je scrute
les cadrans. Dans le chuintement des vérins et le claquement des
trappes, les 10 roues s’effacent dans les entrailles de l’avion.
- Train rentré, verrouillé! Phares éteints !
- Régime de montée !
LE CIRCUIT HYDRAULIQUE EST EN PRESSION, LA REGULATION NE FONCTIONNE PAS .
Je surveille les paramètres pendant que les pilotes ajustent
la puissance des réacteurs. LEROY se détend, le
décollage est terminé, il allume rituellement une cigarette.
J’embraye les compresseurs de climatisation et stoppe les pompes de
suralimentation, j’écoute le bruit des réacteurs qui se stabilisent
en régime de montée et, faisant pivoter mon siège, je m’installe
devant le pupitre latéral du tableau des instruments que je balaye
du regard :
-Bon dieu ! L’exclamation m’échappe : je viens
d’apercevoir l’aiguille du manomètre de pression hydraulique qui se
trouve dans le secteur « Danger » du cadran.
Quatre visages se tournent vers moi, mes amis ont
compris qu’il y a un incident, le lieutenant DAUDEBOURG m’interroge
d’un signe de tête. Je lui explose le problème :
-Le circuit hydraulique est en pression, la
régulation ne fonctionne pas.
Je sélectionne les pompes, la pression ne varie
pas. Je réfléchis un instant :
-On va faire une manœuvre du train d’atterrissage,
peut être que la régulation se débloquera ?
DAUDEBOURD acquiesce et calmement avise son
copilote :
-Continue au cap et occupe-toi du pilotage pendant
que je fais le point avec Christian.
-OK : Répond simplement LEROY en s’assurant sur
son siège.
Puis le chef de bord s’adresse aux radios
navigateurs :
- SIMIAN, préviens Pointe à Pitre que nous avons
des ennuis mécaniques. Busson ? Prévoyez le retour ;
- Vitesse correcte pour la sortie du train
interrompt LEROY
-
Allez-y, répond le Lieutenant !
La manœuvre est effectuée, DAUDEBOURD observe avec
moi le manomètre, l’aiguille accuse la chute de pression, les lampes
vertes s’allument.
En 1965, le Général de Gaulle ayant décidé de
doter la France d’une force de dissuasion, un centre d’essais
nucléaires est créé sur un archipel de Polynésie, éloigné de toutes
terres habitées. L’atoll d’Hao est choisi car sa configuration
permet la construction d’une piste d’atterrissage et d’un port,
infrastructures nécessaires à l’installation d’une base avancée qui
assurera la logistique des sites de Mururoa et de Rangiroa.
Dans le même temps, M. MESMER,
Ministre de la Défense, charge l’armée
de l’air d’acheter des avions cargos Douglas DC8 F55,
quadriréacteurs long courrier, pour équiper l’Escadron de Transport
3/60 « Estérel » qui acheminera le matériel et le fret sensible de
la métropole vers les îles polynésiennes, via une escale technique à
Pointe à Pitre en Guadeloupe avant la longue traversée de l’Océan
Pacifique.
J’ai l’honneur d’être désigné comme mécanicien parmi les navigants formés à la conduite des DC8.Chaque équipage est composé de deux pilotes dont un commandant de bord, de deux radios navigateurs et d’un mécanicien. L’état major décide de constituer des groupes de 5 membres qui, dans un premier temps, voleront toujours ensemble apportant ainsi l’efficacité de la cohésion au bon déroulement des vols qui doivent débuter dans l’urgence. C’est ainsi que je suis intégré au groupe désigné « Equipage E ».
Le navigateur, penché sur ses cartes, communique
les caps pendant que SIMIAN « trafique » avec le sol.
VERIFIEZ L ARRIMAGE DU CHARGEMENT ET RASSUREZ LES
CONVOYEURS !
Tandis que LEROY amorce un large virage, je
calcule avec le Lieutenant la quantité de carburant à vidanger.
Malgré la situation inhabituelle, nous ressentons une vague
euphorie, chacun fait la tâche qu’ordonne le déroulement de
l’opération. Le Lieutenant DAUDEBOURG impose une cadence efficace,
pas de mot inutile, l’équipage devient un ensemble où l’acte de l’un
est déterminant pour le travail des autres.
Nous nous épanouissons dans l’expérience
accumulée par l’entraînement et les années de métier qui nous
confèrent dans le calme une rapidité maîtrisée, nous appliquons les
procédures sans précipitation, avec minutie.
Après avoir énuméré la longue check-list des
manœuvres préparatoires, je déclenche la vidange. Munis de torches
électriques, SIMIAN et MARCEL sont à l’arrière de la cabine pour
observer par les hublots si les deux jets de kérosène s’échappent
bien symétriquement de chaque aile.
- OK, ça pisse nous crie MARCEL :
Dans le cockpit, nous vérifions aux jaugeurs les
quantités de carburant qui se pulvérisent dans la nuit. De légères
turbulences secouent l’avion piloté avec application par l’Adjudant
LEROY.
DAUDEBOURG, guette le chronomètre, BUSSON
surveille le cap. En dix minutes, notre DC8 est saigné de vingt
tonnes de kérosène. Au top, j’arrête la vidange. Le Lieutenant
SIMIAN rétablit la radio interrompue pour parer aux risques
d’étincelles. Nous vérifions le centrage et déjà, nous distinguons
les lueurs de Pointe à Pitre et les deux lignes lumineuses de la
piste du Raizet.
DAUDEBOURG a repris les commandes, malgré la
dissymétrie de puissance consécutive à l’arrêt d’un réacteur, notre
DC8 est posé dans les règles de l’art, illuminant par ses phares la
poussière de la piste soulevée par les inverseurs de poussée. Sur le
parking, une foule curieuse de gens de l’aéroport entoure l’avion
dès l’arrêt des moteurs.
Je rédige le rapport d’incident pour le chef
mécanicien d’escale qui patiente avec son équipe de techniciens.
Les formalités sont finies, le Lieutenant
DAUDEBOURG, blague à tabac à la main, remplit sa bouffarde en
m’attendant avec les autres au pied de l’escalier d’accès :
- Les amis ; ça suffit pour ce soir… Maintenant on
a bien mérité d’aller boire un pot !
La casquette en arrière, SIMIAN et LEROY sont
radieux. Nous abandonnons notre brave avion torturé par les
mécaniciens qui s’affairent dans l’éclairage des projecteurs
mobiles. Nous grimpons dans le car qui nous ramène à l’escale de la
cité des Carbets où nous logeons, DAUDEBOURG allume enfin sa pipe.
Soudain, MARCEL nous gratifie d’un rare compliment :
- L’équipage E, vous êtes bien les meilleurs :
Et s’adressant aux convoyeurs, mal remis de leurs
émotions :
- On va arroser ce vol mémorable.
Cet incident repousse notre départ de 24 heures.
Au bar de l’escale, nous avons bu quelques verres
en commentant les difficultés que nous avions surmontées. Nous nous
complaisons de les entendre exposées par l’un et l’autre, heureux de
découvrir le détail qui marque la tournure d’esprit de chacun. Tous
les six, décontractés et satisfaits, nous dégustons nos
« planteurs » à petites gorgées…
Une discrète fierté nous unissait comme des
frères.
Au cours d’une mission, le 29 avril 1967, dans
la moiteur nocturne de Pointe à Pitre, notre DC8 FRAFA, à la limite
de la surcharge, gavé de
La tour de contrôle donne l’autorisation de
pénétrer sur la piste, le lieutenant DAUDEBOURG, commandant de bord,
aligne l’avion entre les deux rangées de lampes de balisage de
piste. Un dernier coup d’œil aux instruments, je termine la
check-list :
- Paré au décollage !
Le lourd quadriréacteur s’élance en hurlant de
toute sa puissance. Légèrement secoués par l’atterrisseur avant qui,
affolé par la vitesse vibre sur le béton, nous vivons tous les cinq
dans le silence tendu du cockpit l’accélération du décollage.
- VR…V2 ! Annonce l’Adjudant LEROY, copilote.
Le Lieutenant DAUDEBOURD, par une traction dosée
sur le manche, arrache du sol les 147 tonnes du DC8 :
par Christian
HAESTESKO (P8)
Mécanicien d’équipage
- Rien à faire, dis-je, une pompe doit être
bloquée en débit maximum… On va voir… On va réduire alternativement
les réacteurs 2 et 3 qui entrainent les pompes.
Le Lieutenant DAUDEBOURG se tourne vers LEROY qui
pilote ! Impassible ;
- On réduit
d’abord le 3.
Il met la manette plein ralenti, pas de
changement…
On réduit le 2, la pression chute en suivant la
baisse de régime et reste enfin à une valeur normale. Je conclus :
- Le système de régulation de la pompe 2 ne
fonctionne plus.
- Bien dit laconiquement DAUDEBOURG, laissons le 2
plein ralenti, mais on ne peut pas continuer ainsi.
Il s’adresse à SIMIAN :
- Dis à la tour que nous rentrons sur trois
moteurs et demande une zone de vidange.
Nous ajustons la puissance des trois réacteurs en
fonctionnement pour maintenir la continuité du vol. J’observe avec
soulagement la température du liquide hydraulique qui diminue
lentement. BUSSON, un peu inquiet, me demande si la panne est grave,
je le rassure aussitôt.
Le Lieutenant SIMIAN converse avec les opérateurs
au sol qui nous suivent attentivement. L’avion est trop lourd pour
supporter les contraintes d’un atterrissage. Nous allons l’alléger
en vidangeant une partie du carburant contenu dans les réservoirs.
L’Adjudant MARCEL, le « sécurité cabine » qui
s’occupe des convoyeurs du fret sensible, alerté par les variations
de régime moteur, pénètre à ce moment dans le poste. Avant qu’il me
questionne, je le tranquillise par quelques brèves explications.
- Si je comprends bien, nous reverrons encore
cette fois nos belles-mères, lance –t-il gouailleur !
Il arrache un sourire à chacun.. Sacré Marcel !
Toujours le moral !... et devenu sérieux :
- Puis-je vous être utile ?
- Vérifiez l’arrimage du chargement et rassurez
les convoyeurs qui doivent s’inquiéter, ordonne DAUDEBOURG.
-
Bien reçu chef !
Notre Titi disparait dans la cabine. Un secteur de
vidange nous est assigné.
- Nous allons descendre.
Le Lieutenant DAUDEBOURG, avec une autorité pondérée, coordonne et vérifie le travail de l’équipage : BUSSON, amenez nous sur la zone de vidange.
- Train sorti, verrouillé :
La pression remonte, dépasse la valeur normale et
se stabilise à nouveau dans la zone « Danger ». Le train est rentré,
pas d’amélioration, le Lieutenant me regarde :
- Ca ne s’arrange pas, chef !
J’entends le haut parleur qui crachote, la tour de
contrôle demande si nous faisons demi-tour. Le Lieutenant SIMIAN,
micro à la main, attend la décision de DAUDEBOURG :
- Dis-leur que nous analysons le problème, nous
leur répondrons dans deux minutes.
SIMIAN transmet le message pendant que le
sergent-chef BUSSON, deuxième radio navigateur, calcule les caps de
retour. DAUDEBOURG me demande :
- Que pouvez-vous faire ?
J’essaye le circuit de secours, il fonctionne parfaitement, je coupe une par une les deux pompes hydrauliques principales. Toujours sans effet. Un lourd silence règne dans l poste pendant que je tente de rétablir les paramètres corrects du circuit. Tous s’efforcent de ne pas troubler ma réflexion ; je surveille la température du liquide hydraulique qui augmente dangereusement vers la surchauffe.