Noël à Bangui
Par Pierre GARDERE
Voici un petit débriefing de la mission
d'évacuation de ressortissants tchadiens. Il a pour but d'expliquer
les conditions rencontrées et l'excellent travail fait par
l’équipage
.
24/12/2013: reporting Time à 06h00Z. Pour théoriquement
1 rotation voire 2, entre BGF et NDJ pour évacuer des ressortissants
tchadiens et un retour sur CDG le 25. Départ bloc à 08h00. et
décollage à 8h57 après 40 min d'attente au point d'arrêt cause
tempête Dick avec un vent du 200/26 à 38kt et rafales à 43kt en
moyenne( décollage pendant une période de rafale à 41kt, ce qui fait
réellement 39kt...) En arrivant à BGF, nous découvrons l'ampleur de
la situation: un camp de réfugiés au bord du parking, des dizaines
voire centaines de personnes arrivant par la route Nord de
l'aéroport, traversant la piste par le milieu pour rejoindre la
camp. Les pompiers centrafricains se chargeaient d'empêcher les gens
de traverser lors d'arrivée d'avions. Nous sommes arrivés au parking
à 15h30 et avons communiqué la situation au 777 d'AF avec qui nous
étions en contact depuis la PPV, et qui attendait des infos pour
pouvoir se poser. Nous avons dû attendre que l'avion d'AF soit prêt
pour repartir car les autorités de l'aéroport avaient décidé qu'il
était prioritaire et l'avait donc garé de façon à repartir en
premier.
En discutant avec les militaires français (tous équipés de
gilets et de FAMAS)) il est décidé de prendre 251 PAX car les
autorités tchadiennes ne nous autorisaient que 250 PAX maximum par
avion. Et le transit nous apprends qu'il y aura une deuxième
rotation dans la soirée car il y a énormément de tchadiens présents
et que pour le transit, la deuxième rotation était prévue dès le
début vu la situation. Nous nous retrouvons donc avec 85 adultes,
122 enfants (dont beaucoup évidemment non accompagnés) et 37 bébés
dont le plus petit de 4 jours, né par césarienne, présent à bord
avec sa mère... (Total 244 car 7 ne se sont pas présentés à
l'avion).
Avant de repartir, nous confirmons que nous pouvons
prendre plus de 300 PAX lors de la prochaine rotation vu qu'il y a
énormément de bébés et d'enfants. Nous faisons le bloc en 1h40 à
cause de l'autre avion, puis départ vers NDJ. Arrivé à destination,
le CCP fait nettoyer l’avion (urine sur les sièges, vomit...) et
commande des biscuits pour les PAX car la plupart n'ont rien mangé
depuis au moins 1 ou 2 jours. Avant de repartir, appel du transit de
BGF, pour nous dire que le chef des opérations de BGF nous interdit
de venir pour cause de situation dégradée sur l'aéroport. J'appelle
alors l'EATC qui n'avait pas l'information, qui appelle donc le CPCO
pour décision. Après appel au CPCO par l'EATC, confirmation de la
situation et il est décidé de reporter la rotation au lendemain
(décision vers 8h00z, je propose donc un départ avion vers 11h00z)
avec une deuxième rotation dans la foulée et ensuite retour en
France.( tout cela bien entendu en se battant pour avoir le pétrole,
et les autorités qui faisait pression sur nous pour partir ou bouger
l'avion car l'avion d'AF allait arriver et nous allions les gêner)
Après calcul rapide de FDP et discutions rapide avec l'équipage, je
prends la décision de laisser 2 pilotes, un CCP et une ASC à l'hôtel
afin qu'ils puissent se reposer et nous ramener en toute sécurité en
France.
Avant de rentrer à l’hôtel, nous nous arrêtons au DETALAT
sur l'aéroport pour fêter Noël avec les équipages C130 C160 C135 et
helico.
25/12/2013: appel de l'EATC vers 08h00z pour confirmer le
lancement des rotations ce matin départ prévu à 11h00z. Cette
fois-ci, c'est l'ADJ SINTES qui fait le vol avec nous (elle est en
detam à NDJ et s'est arrangée avec l'ADJ CLAVEAU pour faire le vol à
sa place. Le bloc départ est fait à 10h45z, vol sans histoire vers
Bangui. A l'arrivée, les militaires nous expliquent la situation qui
s'est produite la veille au soir: des tirs ont eu lieu sur
l'aéroport et un français a reçu une balle dans son casque.
Heureusement, il n'a pas été blessé (miracle de Noël). Cette
fois-ci, ce sont 107 adultes dont 4 femmes enceintes (8, 7, 4 et 3
mois) 2 femmes âgées de 50 ans mais d'après la convoyeuse, minimum
80 ou 90 ans, 38 bébés dont 1 de 12 jours, et 104 enfants que nous
ramenons. Lors de l'embarquement, une femme est amenée complètement
amorphe, portée sur le dos d'un homme (elle ressemblait plus à un
cadavre qu'autre chose).
La convoyeuse a commencé à l'ausculter. Elle
avait fait un malaise en salle d'embarquement à cause de la chaleur,
du stress et du manque de nourriture, et faisait de la tachycardie.
Après avoir trouvé quelqu'un pour traduire, la convoyeuse a fini par
la calmer en lui expliquant aussi que les 4 enfants qui restaient
dans l’aéroport (elle voyageait déjà avec 2 autres enfants) seraient
rapatriés sur la prochaine rotation. Le vol retour se fait au FL300
afin de ne pas trop pressuriser l'avion à cause des oreilles des
bébés qui seront mis au sein pendant la descente pour leur permettre
de déglutir. Quant aux enfants et adultes, des gâteaux et de l'eau
leur sont distribués, n'ayant sûrement pas mangés depuis au moins un
jour. D'ailleurs, à peine monté dans l'avion, la plupart des enfants
se sont endormis sur leur siège, nous laissant imaginer leur état de
fatigue. Lors du 2ème vol aller, nous utilisons CIRCUS TILLEUL pour
faire le relais avec le CAOC qui nous donne la situation sécuritaire
à BGF avant la descente. L'atterrissage se fait de nuit en 35, seule
piste ayant un semblant de balisage: rampe d'approche, premier tiers
de piste en balisage standard, puis balisage extrêmement dégradé
(j’estime à une lampe sur 3 ou 4 à droite, avec une très faible
intensité et aucun balisage sur le côté gauche, balisage fin de
piste dégradée et moyen de balisage sur la raquette inexistant.
Atterrissage donc avec tous les feux d’allumés (take-off
compris).sachant également que de nombreux feux avaient été allumés
et cela réduisait grandement la visibilité (environ 4000m). Arrivés
sur place, l'EATC nous informe que le CPCO veut nous garder à NDJ
quelques jours, voire pour un detam. L'ambiance équipage, excellente
jusqu'à présent, s'est retrouvée un court instant, plombée par cette
nouvelle. J'ai cependant pu constater, en me promenant pendant
l'embarquement, qu'aucun PNC ne montrait de signe d'agacement ou de
découragement. Leurs sourires et leur courtoisie m'ont montré quels
grands professionnels ils étaient. Et je tiens encore à les
féliciter pour cela
Lors de la remontée de piste avant le
décollage, nous nous sommes aperçus que les abords de pistes étaient
envahis par les civils. Ils étaient en bordure de piste( piste de
45m plus environ 3m de chaque côté et les gens étaient en limite de
cette bordure, le winglet leur passant donc au-dessus de la tête )
décollage en TOGA afin de limiter le temps sur piste et assurer un
bon taux de montée, mais en cas de panne moteur pendant la course au
décollage....l'état de la piste se dégradait également à cause des
gens qui la traversaient depuis le début de la journée et qui
laissaient tomber des choses dessus( que des végétaux trouvés
sûrement en route, mais rien de solide) Sur ce vol retour, nous
avons un petit peu plus rentabilisé l'avion: 94 adultes dont 2
aveugles et 1 handicapée, 3 femmes enceintes de 7 et 6 mois, 139
enfants et 69 bébés ( total: 302 PAX ). A l'arrivée, un coussin a
été trouvé couvert de sang. Il s'agissait d'une vielle dame qui
toussait beaucoup mais qui se cachait derrière ce coussin. Le
convoyeur a décidé d'appeler le service médical pour envoyer le
coussin afin qu'il puisse être analysé, mais le médecin a pu, par
téléphone, sans voir le coussin, savoir que ce n'était pas
contagieux et a donc recommandé la destruction du coussin et demandé
que la personne vienne consulter le lendemain( il va s'en dire qu'il
était impossible de retrouver cette personne...) je recommande tout
de même à l'équipage de passer début janvier au CMA pour une
consultation, je verrai au retour la cellule santé pour qu'elle nous
organise cela.
A NDJ, comme d'habitude nous devons nous battre
pour avoir le pétrole afin d'avoir l'avion prêt à partir depuis le
parking militaire en cas d'alerte et nous perdons le soir en moyenne
01h30. Retour à l'hôtel à 00h30 pour être d'alerte à 3h dès le matin
et vol peut être l'après-midi.
26/12/2013: mission annulée
mais nous restons d'alerte à 3h. Nous apprenons aussi les intentions
du CPCO de nous garder jusqu'au 29 avec relève équipage en FALCON.
Nous savons aussi que le FRAJB arrive le 27 pour repartir en France
le 28. L'équipage ne comprend pas pourquoi personne ne vient nous
relever plus tôt et pourquoi l'équipage qui descend en mission ne
reste pas à notre place, vu que s'ils ont passé Noël chez eux, c'est
un peu grâce à nous et qu'une nuit de plus pour eux à NDJ, ce n'est
rien alors que pour nous, c'est énorme.... Là, je ne vous cache pas
qu'il y a eu une légère colère et incompréhension de la part de
l'équipage. Nous demandons à l'Esterel la prise en charge par AF des
chambres car peu d'avance et la nuit coûte 137€. Déménagement des
ASC vers des chambres doubles. 27/12/2013: à 14h, SMS du permanent
ops nous disant que nous rentrerons le 28 après une mission sur ABJ
et BGF. Appel à l'EATC qui n'était pas encore au courant, puis
confirmation vers 14h30. Annonce à l'équipage qui me re-sourit enfin
(je plaisante) puis rechangement à 15h00, nous rentrons mais après
ABJ-BGF-NDJ.
Après calcul et consultation avec l'Esterel, décision de partir tous
ensemble cause temps de service, avec dérogation temps de service
(1h de planif plus au moins 45min de CDB, dérogation PNC-1 cause 1
PNC qui rentre avec le FRAJB afin de pouvoir avoir son avion pour
les vacances dès le 29 au matin, et dérogation pour du fret interdit
(grenade...). Prise de contact avec le CDB du FRAJB pour qu'ils
nous laissent des boissons en plus et des repas LC à l'escale pour
notre retour. Appel à ABJ pour avoir des plateaux repas équipage et
des sachets petit-déjeuners à NDJ. 28/12/2013 reporting Time à
05h30z, départ pour ABJ avec 30 min d'avance, qui seront perdues à
ABJ à cause du catering (bloc en 2h15 alors qu'on était prêt,
chargement terminé en 1h25!!!!!) A BGF, 1h50 de bloc à cause du
loader qui a eu quelques soucis. Départ à17h52 avec à bord 1
rapaeven français et 296 tchadiens dont 55 bébés, 127 enfants et 114
adultes dont 2 femmes enceintes (9mois avec accouchement prévu dans
4 jours, l'autre de 6 mois), 2 aveugles, 3 handicapés. Ce qui fait
au total
199 bébés
492 enfants
400 adultes
En tout 1091 personnes en 4 rotations A NDJ,
pour une fois le plein se passe bien et nous faisons le bloc en
01h07!!! Retour à CDG,
arrivée à CDG le 29/12 à 02h00z...
En conclusion, mission passionnante, extrêmement gratifiante en
voyant les sourires des enfants et des parents qu'on retirait de
l'enfer, même si la barrière de la langue ne nous permettait pas
toujours de communiquer. Mission enrichissante vu les situations
rencontrées. Mais NDJ pas dimensionné pour un detam A340: pas de
couvertures ni coussins de rechange, pas de possibilité de catering
pour de longues missions avec beaucoup PAX (même si l'escale et le
CCITTM faisaient de leur mieux pour répondre à nos demandes (
biscuits, eaux...un grand merci à eux)) , nettoyage avion assez bien
malgré les conditions "africaines"( urine sur les sièges et
coussins, vomit...), d'ailleurs un nettoyage approfondi de l'avion
me semble nécessaire . Escale de NDJ et EDA (Économat Des Armées)
très réactifs, escale de BGF très compétente et efficace au vu des
conditions rencontrées. Désolé pour la facture de téléphone, mais
elle sera extrêmement élevée, car j'ai vraiment eu l'impression de
passer plus de temps au téléphone qu'aux commandes de l'avion; et
j'ai également accepté que l'équipage l'utilise avec parcimonie pour
prévenir les familles des changements de dates de retour quand le
wifi de l'hôtel ne fonctionnait pas. (et seuls quelques appels très
rapides ont été passés).
Permanent ops qui nous a bien aidé à
distance et déchargé de certaines tâches difficilement réalisables
depuis NDJ quand le wifi fonctionne mal; un grand merci à Rémi EATC
qui nous a toujours soutenu et a toujours agi dans notre sens et
suivi nos propositions (merci Sousou) Équipage extrêmement compétent
et professionnel. Merci à Franck, Boris, Christophe( PNT), Aurélien
et Julien les CCP, et Gérard, Simon, Antoine, Sonia, Audrey, Tania,
Isa, Marlène et Joséphine les PNC, Élie le CVA Qui ont su
maintenir une très bonne ambiance, et Joao, qui a travaillé dans des
conditions difficiles lui aussi( d'ailleurs , un detam est
difficilement envisageable également pour eux, ou alors, il faut
descendre tout Roissy si on veut un minimum de matériel, le délai de
dépannage ne pouvant être raisonnablement tenu, tout le contrat
serait à revoir.