L’avion de Giscard fait demi-tour
 depuis Bucarest

par Daniel FOUCHER

Au moment où les média s’interrogent sur les causes du crash

du Tupolev présidentiel polonais,

cet article peut nous aider à comprendre ce qui a pu se passer.

Le 18 janvier 1979, à bord d’un DC8 de l’Esterel, le président Giscard d’Estaing se rend en voyage officiel en Roumanie. Avant le décollage, la plupart des terrains d’Europe centrale sont « aux minima » avec des averses de neige; à Bucarest, il est prévu une légère amélioration. Compte tenu de cette situation, je décide de “gonfler” de façon inhabituelle « les pleins » afin d’augmenter les chances de déroutement.

Les conditions météorologiques se dégradent tout au long du vol
Durant le vol nos passagers sont inquiets et  l’aide de camp du président est souvent dans le cockpit pour suivre avec nous l’évolution de la situation météo; il intervient plusieurs fois pour demander à certains passagers curieux et agités de ne pas gêner le travail de l’équipage.
 
Les contrôleurs aériens de l’aéroport nous cachent la réalité
Dés que le contact est établi avec le contrôle roumain nous avons du mal à obtenir des informations précises sur l’état de la piste enneigée ce qui revêt une importance particulière avec un atterrissage « aux minima ». « On déneige » en mauvais anglais est la seule réponse obtenue. En plus nous apprenons qu’aucun avion ne s’est posé le matin avant notre arrivée.
Fait plus grave, le vent s’est levé et la connaissance des conditions d’adhérence à l’atterrissage devient de la plus haute importance. Si la piste est glissante avec la hauteur de neige, nous sommes « hors tolérances » d’après les courbes du manuel constructeur. Autant d’éléments impossibles à vérifier par nous-mêmes. Ceux communiqués par les Roumains restant trop imprécis,  nous décidons de rester en attente au niveau de croisière tant que nous n’aurons pas une idée précise des possibilités de circulation sur l’aérodrome.
Quarante-cinq minutes se passent ainsi sous un soleil éclatant au dessus d’un épais tapis de nuages qui s’étend au-dessous de nous et sans que nous puissions être rassurés sur l’état de l’aérodrome; « tout le possible est fait pour rendre le terrain praticable » nous dit-on à la radio.
Nous sommes en contact permanent avec « Circus Vert” qui tente de contacter l’ambassade de France à la demande de la délégation à bord mais aucun correspondant n’est à même de nous renseigner.
 
Face au danger d’un atterrissage dans ces conditions, le déroutement est décidé
La situation ne s’améliorant pas et la météo de Constantza restant en dessous de nos minima alors que c’est le seul autre aéroport de Roumanie habilité « heavy jet », après un entretien en direct avec le président, le déroutement hors de Roumanie est décidé; le choix du pays de destination risquant de poser des difficultés politiques, je propose au président, tant que les réserves de carburant le permettent de faire un QRF immédiat vers ORLY ce qu’il accepte aussitôt.
Un dernier contact radio avec Bucarest nous informe d’un renforcement du blizzard et d’une accumulation de neige telle qu’aucun véhicule ne circule plus sur l’aérodrome.
Le retour s’effectue en Long Range et le temps de vol sera de 6 heures (pour 2h30 de trajet aller).
 
Le lendemain du vol, l’impression « d’avoir eu du nez » !
Appelé le lendemain au téléphone par le Directeur du protocole d’Air France qui s’était posé la veille de notre arrivée à Bucarest, j’apprends les risques que nous aurions encourus en tentant un atterrissage car, m’a-t-il dit, «les congères de part et d’autre de la piste formaient deux parois entre lesquelles le  737 a pu juste se glisser; le lendemain matin, avec la neige tombée la nuit, votre DC8 aurait à coup sûr accroché avec son envergure ».
La tour de contrôle, en ne nous disant rien, nous avait laissés venir dans un véritable piège!
 
Des péripéties retracées par un écrivain Roumain exilé en France
L’écrivain et journaliste roumain Sanda Stolojan a mentionné ces faits dans un de ses carnets de Route intitulé « Au Balcon de l’Exil roumain à Paris avec Eugène Ionesco… »: « Des soldats en uniforme et manteau léger balayent l’aéroport où souffle le blizzard. L’inutilité de leurs gestes ressort face au vent qui souffle de biais et ramène la neige exactement là où ils ont balayé. Incroyable: l’avion de Giscard survole pendant une demi-heure l’aéroport d’Otopeni, puis décide de rentrer à Paris. L’absurdité des scènes reflète le côté absurde de la tyrannie de Ceaucescu: personne n’a osé lui annoncer que l’atterrissage sera impossible, afin d’éviter au président français le déplacement inutile».
 
 
Je considère ces péripéties comme un cas d’école intéressant à commenter car sur les vols VIP que j’ai effectués à l’Esterel, à aucun moment je n’ai subi de pressions de la part de membres de la délégation quel que soit leur rang. Par contre, avec les contrôles aériens, toujours très coopératifs en général, la rétention d’informations vitales pour la sécurité du vol peut intervenir pour des raisons  politiques ou tout simplement de protocole.
 
L’ESTEREL en 1979
À cette époque, l’escadron 03/060 “Esterel”  implanté à Villacoublay, comprend 24 équipages et 6 DC8 stationnés habituellement à Roissy- Charles-de-Gaulle et entretenus par UTA.
Ses missions:
• 50 % au profit de la DIRCEN et du CEP en rotations passagers et fret sensible vers la Polynésie.
• 45 % environ au profit des armées en aérotransports entre la métropole et les bases d’Outre-mer.
• 5 % environ en transports VIP (hautes autorités politiques).