Mission Humanitaire Erbil
Kurdistan irakien
Jeudi 7 août 2014 -
(Dépêche AFP - 18h34) La France est prête à "apporter un soutien"
aux forces engagées en Irak dans le combat contre les djihadistes de
l'Etat islamique (EI), a indiqué jeudi François Hollande dans un
entretien téléphonique avec le président du Kurdistan irakien,
Massoud Barzani, a rapporté l’Elysée.
(Dépêche AFP - 23h31) Le Conseil de sécurité de l'ONU a entamé
jeudi soir à New York des consultations à huis clos sur la situation
dans le nord de l'Irak, où
des milliers de civils, souvent
issus de minorités religieuses, sont poussés à l'exode par l'avancée
des djihadistes.
Vendredi 8 août 2014 -
(Dépêche AFP - 12h48) Le sort dramatique des minorités dans le
nord de l'Irak a poussé le président américain Barack Obama à
autoriser des frappes aériennes pour éviter
un "génocide" et contrer l'avancée des djihadistes vers le Kurdistan
irakien.
(Dépêche AFP - 13h01) "Le barrage de Mossoul est aux mains des
insurgés depuis hier (jeudi) soir", a déclaré Holgard Hekmat,
porte-parole des forces kurdes peshmergas qui contrôlaient
jusqu'alors l'installation. Cette information a été confirmée par le
chef du conseil provincial de Ninive (nord), dont Mossoul, prise par
les djihadistes début juin, est la capitale.
(Dépêche AFP - 16h11) Le Royaume-Uni a recommandé vendredi à ses
ressortissants de "quitter immédiatement" trois provinces du
Kurdistan irakien dont celle d'Erbil, en proie à des combats avec
les djihadistes de l'Etat islamique (EI).
(Dépêche AFP - 17h19) La compagnie aérienne Turkish Airlines a
annoncé vendredi avoir suspendu pour des raisons de sécurité ses
vols à destination d'Erbil, la capitale du Kurdistan irakien,
menacée par l'offensive des combattants djihadistes de l'Etat
islamique (EI).
(Dépêche AFP - 18h36) Le géant européen du transport aérien
Lufthansa a annoncé vendredi la suspension jusqu'à lundi des vols de
ses compagnies vers Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, menacée
par l'offensive des combattants djihadistes de l'Etat islamique
(EI).
L’Esterel reçoit l’ordre d’étudier la possibilité d’envoyer un
vecteur à Erbil, capitale du Kurdistan irakien. Les routes sont
étudiées, et l’aéroport d’Erbil est capable d’accueillir nos airbus
A310 et A340 sans restriction technique particulière, même si de
nombreuses questions restent sans réponse (capacités de l’assistance
locale, possibilités d’avitaillement, …).
Le vendredi 8 au soir, aucune mission n’étant encore déclenchée, des
équipages sont mis en alerte pour un décollage en moins de 12
heures, durant tout le week-end.
Samedi 9 août 2014 -
Le président de la République annonce l’envoi de matériels et
d’équipements de premiers secours pour venir en aide à
la population kurde du nord de l’Irak,
alors en situation de détresse humanitaire.
En milieu de journée, la décision est prise d’envoyer un A340 de
l’Esterel à Erbil. La mission est un aller-retour Paris-Erbil, dans
la journée du dimanche 10 août 2014, pour acheminer du fret
humanitaire.
Le commandant de l’Esterel, les personnels des opérations,
l’officier renseignement et les 3 pilotes d’alerte se rendent alors
immédiatement à l’escadron pour préparer cette mission particulière
à tout point de vue. Il est alors 13h.
Les routes sont validées (clairances diplomatiques obtenues,
dépressurisation étudiée sur les reliefs de l’est de la Turquie, …).
Les charges offertes aller et retour sont calculées, en prenant le
carburant nécessaire pour toute la mission au départ de Paris. En
effet, les derniers doutes sont levés quant aux moyens de piste
disponibles à Erbil (escaliers, loaders, groupe de parc…), mais nous
ne savons toujours pas s’il est possible de refaire le plein sur
place. Le moyen de paiement de l’assistance locale n’étant pas connu
non plus, 25,000$ en liquide sont perçus pour parer à toute
éventualité.
Le chargement du fret humanitaire est coordonné avec le personnel de
l’ETAA. Il se fera sur 7 palettes, qui rempliront l’intégralité du
volume de nos soutes, pour une masse totale de 17,2 tonnes de
médicaments, tentes, couvertures, et matériels de première
nécessité. 12 passagers seront également à bord (2 personnels du
centre de crise du MAE, une équipe de communication des armées de 3
personnes, 2 personnels militaires effectuant une reconnaissance
pour une future évacuation de réfugiés, et 5 membres des forces
spéciales).
Les horaires de la mission sont coordonnés avec l’ETEC pour se poser
à Erbil environ 30min avant l’arrivée du ministre des affaires
étrangères. Laurent Fabius viendra livrer officiellement le fret
humanitaire transporté dans nos soutes aux responsables politiques
kurdes, après s’être rendu à Bagdad.
Nous savons alors que plusieurs compagnies aériennes ont suspendus
leurs vols à destination d’Erbil pour des raisons de sécurité. Le
briefing de l’officier renseignement nous confirme la situation
critique décrite par les médias. La ligne de front, entre les
combattants de l’EI et les peshmergas kurdes, se situe à seulement
30km à l’ouest et 25km au sud de l’aéroport. La menace potentielle
est très élevée dans les zones contrôlées par l’EI. Elle est
constituée d’armes de petit calibre, d’artillerie anti-aérienne de
type ZU-23, et de manpads de type SA-7, avec également des
présomptions de présence de SA-14/SA-16.
Notre avion ne disposant d’aucun système d’autoprotection, ni même
de blindage, la stratégie élaborée est évidemment de rester le plus
éloigné possible de la zone des combats. Des trajectoires permettant
de se soustraire à cette menace sont définies, et aucun écart ne
sera tolérer sur celles-ci. Les pilotes s’équiperont de gilets de
combat.
L’équipage sera composé de 11 personnes : 3 pilotes, 1 chef de
cabine principal également loadmaster, 2 chefs de cabine, 3 aides
sécurité cabine, 1 convoyeur de l’air, et 1 technicien civil de TAP.
20h, la mission est enfin prête, tout le monde rentre chez soi se
reposer avant la longue journée qui attend tout l’équipage.
Dimanche 10 août 2014 -
4h30 du matin, soit une quinzaine d’heures après le déclenchement de
la mission, rendez-vous de tout l’équipage à Roissy pour un
décollage prévu à 6h30.
Les conditions météo sont optimales sur tout le trajet, tous les
voyants sont au vert pour effectuer la mission.
En arrivant à l’avion, l’ETAA et l’assistance nous informe que le
chargement inhabituel (fret très important et peu de passagers) rend
le centrage de l’avion impossible. La première solution est
d’enlever une partie du fret, ce qui est inacceptable, l’objet de la
mission étant justement d’acheminer à Erbil le maximum de fret
humanitaire. Notre chef de cabine loadmaster propose de commander
des packs d’eau à la société Jet Chef pour lester l’arrière de
l’avion et ainsi le recentrer dans les limites autorisées. Nous
retenons cette solution qui nous permet d’embarquer la totalité du
fret prévu, et commandons le maximum d’eau immédiatement disponible
auprès de Jet Chef, soit 30 packs de 6 bouteilles de 1,5L, qui
permettront de lester l’arrière de l’avion. Ces packs d’eau seront
laisser à Erbil, en complément de l’aide humanitaire.
Tous ces détails réglés, nous décollons finalement à 7h17 de Roissy
Charles de Gaulle, pour un vol de 4h50 vers Erbil. Vol qui se
déroule sans encombre jusqu’à l’est de la Turquie. Nous obtenons par
radio le feu vert du CNOA pour nous poser à Erbil, et nous nous
équipons des gilets de combat.
Au passage de la frontière entre la Turquie et l’Irak, nous débutons
la descente. Le contrôleur aérien nous informe que plusieurs
aéronefs sont en approche, et que nous devront effectuer de
l’attente. Nous entendons effectivement ces autres trafics sur la
fréquence, notamment des aéronefs militaires américains.
Pour ne pas s’exposer à la menace, nous négocions une descente
tardive avec le contrôleur aérien. Durant la descente et l’approche
finale, nous apercevons à l’ouest les panaches de fumée s’élevant
des zones de combat. L’atterrissage est réalisé face au sud.
Nous sommes garés en zone de fret où une équipe de manutention nous
attend pour vider nos soutes. Le déchargement de nos soutes commence
immédiatement, sous la direction de notre loadmaster. Les 17 tonnes
de fret sont rapidement descendues au pied de l’avion, au moment
même où le ministre des affaires étrangères arrive accompagné de ses
homologues irakiens et kurdes. Nous laissons alors la place au
protocole et aux déclarations à la presse.
Deux heures après notre arrivée, les 7 palettes et 180 bouteilles
d’eau sont déchargées, nous sommes prêts pour rentrer à Paris. Mais
nous apprenons alors que nous allons peut-être devoir ramener des
réfugiés kurdes ayant obtenu l’asile en France. Nous nous
renseignons sur place, et auprès du CNOA, mais il s’avère que
l’évacuation n’est pas encore prête ni organisée, et que les
réfugiés rentreront sur les prochains vols.
C’est finalement après trois heures d’escale que nous demandons la
mise en route. Le contrôleur aérien nous donne une clairance de
départ qui nous envoie vers l’ouest, directement sur Mossoul. Les
performances de notre avion ne nous permettent pas, en suivant cette
clairance, de passer la ligne de front à une altitude suffisante
pour nous affranchir de la menace. Nous passons donc une quinzaine
de minutes à négocier pour réaliser la trajectoire que nous avons
étudiée la veille, soit vers le nord initialement, pour monter avant
de revenir vers l’ouest.
En atteignant notre niveau de croisière, sous notre aile gauche,
nous pouvons admirer le lac de retenue du barrage de Mossoul, tombé
aux mains de l’ennemi il y a trois jours.
Nous nous posons à Paris à 20h20, fatigués par ce long week-end,
mais surtout exaltés par l’accomplissement de cette mission
humanitaire au profit d’une population en détresse.
Rédaction: CDT POTEAU - Commandant de bord de la mission
Mise en page: CDT AMIOT - Ancien officier traditions