L’Esterel comme l’Aéropostale des temps héroïques passe
toujours, ou comment briser une grève (momentanément)…!
Souvenez-vous, c’était il y a bien longtemps
déjà : 30 ans, rien que çà ! Dans la torpeur estivale, le lundi 3
août 1981, un conflit social majeur éclatait aux USA :
les 13 000 membres de l’organisation des contrôleurs aériens
professionnels (PATCO) entreprenaient une grève contre l’agence
fédérale de l’aviation (FAA) pour demander une réduction des heures
de travail, le recrutement de nouveaux employés et des augmentations
de salaire.
Le même jour, le président Ronald Reagan dénonçait les grévistes et
leur lançait un ultimatum : ou bien ils retournaient au travail dans
les 48 heures, ou alors ils allaient être licenciés et interdits de
façon permanente de tout emploi fédéral. Deux jours plus tard, il
mettait sa menace à exécution et congédiait les 11 359 contrôleurs
qui avaient défié l’ordre de retour au travail. Je vous laisse
imaginer la pagaille et les conséquences sur le trafic aérien U.S.
Blocage quasi total, tous les avions ou presque sont cloués au sol.
Les quelques vols longs courriers civils autorisés sont contrôlés
par les militaires (je ne sais s’ils avaient un plan type
Clément Marot dans leurs
cartons, mais ça devait y ressembler…).
Après un temps de flottement, quelques vols transatlantiques
pouvaient s’effectuer à raison de 1 ou 2
par heure si je me souviens
bien dans chaque sens en provenance ou à destination de la zone MNPS
contrôlée par New York Oceanic (flow control). Autrement dit très
peu de chose.
Et bien entendu cette situation allait affecter l’activité aérienne
de l’unité, dont la ligne DIRCEN/COTAM 8801/02
tournait à plein régime l’été avec 2 rotations par semaine
via Montréal et Los Angeles. Si le trajet jusqu’à/ou depuis Montréal
ne posait pas de difficulté, il n’en allait pas de même des 2 autres
étapes obligées de transiter via LAX : par conséquent une solution
provisoire avait été envisagée par Vancouver malgré la charge
offerte réduite sur l’étape de Tahiti, mais il aurait fallu quelques
jours pour la mettre en œuvre.
Las, très vite, dès l’annonce du licenciement des contrôleurs le
jeudi 6 août, l’ATC Canadien se solidarisait avec son homologue US
et refusait tout transfert de vol entre le Canada et les U.S. Cerise
sur le gâteau,
Que faire ? Le CO COTAM (pour les plus jeunes, c’est ainsi que se
nommait alors le centre de contrôle des opérations du transport
aérien militaire), ne reste pas inactif et cherche lui aussi une
solution. Son chef, nous livre une information qui va s’avérer
décisive par la suite et nous sauver la mise, mais nous ne le
savions pas encore : il nous informe qu’il y a un représentant de
Lorsqu’il me relate son entretien, je m’imagine assez bien la
conversation :
« Au dessus du territoire U.S,
la priorité absolue est donnée aux vols militaires (l’inverse
aurait été étonnant); or vous
êtes un vol militaire lui indique son interlocuteur
.
La priorité suivante concerne les vols longs courriers : vous êtes
un vol long courrier.
Donc nous pouvons vous aider si vous trouvez un moyen d’atteindre
notre espace aérien depuis Montréal. (Impossible de relier
directement les US depuis
Je prends contact avec les autorités
aéronautiques de mon pays pour étudier la faisabilité et
mettre au point une procédure, et vous ferai parvenir les fréquences
adéquates du centre de contrôle à contacter pour le transfert
Canada / États Unis, et
l’affaire sera réglée. Tenez-moi au courant de vos intentions. »
Brainstorming aux opérations de l’unité dans la foulée. Il nous
apparaît très vite que le seul moyen d’atteindre la frontière
Canada/US sans que les contrôleurs canadiens ne puissent s’y
opposer, était de déposer un plan de vol en régime VFR pour décoller
de Montréal jusqu’à la frontière (région de Toronto), puis
annulation une fois en contact avec les radars U.S. Mais il y avait
2 obstacles à surmonter : l’un technique, l’autre règlementaire.
- Techniquement, il fallait les conditions de vol VMC (vol à vue)
canadiennes pour décoller et ensuite que l’équipage puisse les
maintenir sur la totalité du trajet jusqu’à la prise en compte par
les contrôleurs militaires américains. Or comme c’était l’été, il y
avait de bonnes chances pour que ce fût le cas. D’autant que le
décollage de Montréal avait lieu généralement vers 12h00
locale, il n’y avait pas trop de risques d’orages à cette
heure là, ceux-ci éclatant plutôt dans la soirée.
- Le point réglementaire nécessitait lui une décision du
commandement, car si ma mémoire est bonne, l’Esterel respectait le
manuel d’exploitation UTA qui ne prévoyait pas de vols en ligne
autres qu’en régime IFR
(règles de vols aux instruments).
Nous soumettons notre plan au CO COTAM ainsi qu’au bureau transport
de
Tant est si bien que le lundi 10 août 1981, le vol FM 8801 décolle
de Montréal, monte à
La vérité m’oblige à dire qu’il
n’était pas question au retour de faire transiter l’avion par
Montréal. Celui-ci s’est posé à Washington Dulles en lieu et place
de Mirabel, mais a dû faire une escale de 24 heures avant de pouvoir
redécoller vers CDG (flow control sur l’Atlantique Nord en vigueur).
Mais cela n’avait plus aucune importance, la mission principale
ayant été exécutée à la satisfaction générale.
par Maurice Duboulay