L’épopée des T.S. au dessus du Pacifique-Sud
par Daniel FOUCHER
Au cours de ces T.S la
plus grande vigilance devait être maintenue tout au long des 12 à
13h30 que durait le vol. Durant la première partie, au large du
Venezuela et au dessus du canal de Panama, l’avion était encore trop
lourd pour pouvoir voler au dessus des cumulonimbus qui, dans cette
région voisine de l’équateur, restent actifs jusqu’à une tropopause
se situant à plus de 12.000 mètres. Beaucoup d’entre nous se
souviennent de ces nuages monstrueux qui étalaient leurs enclumes
au-dessus de TABOGA en formant une ligne continue. Mieux valait ne
pas subir de turbulences fortes avec un chargement « sensible » !
Cette vigilance de tous les instants était obtenue malgré la fatigue
du vol grâce au croisement des tâches dans le cockpit pour éviter
toute erreur de l’un ou de l’autre. Durant les traversées nocturnes,
chacun prenait un moment de repos programmé en restant sur son siège
Le pilote place droite et le mécanicien navigant veillaient à la
tenue rigoureuse du nombre de Mach qui en vol Long Range diminuait
tout au long du vol et surveillaient la consommation par des relevés
toutes les 30 minutes; de leur côté, le pilote place gauche et le
navigateur contrôlaient la trajectoire et la stabilité de l’appareil
pendant les visées au sextant, le radio prenant en compte les
messages de compte-rendu de position envoyés toutes les 30 minutes
au CO du COTAM, à la DIRCEN et aux contrôles en vol civils.
A ce sujet une anecdote peut illustrer la rigueur avec laquelle
l’ensemble des acteurs (DIRCEN, UTA puis AIR FRANCE, COTAM, ESTEREL)
suivaient le fonctionnement de l’appareil affecté aux T.S. Toute
panne répétitive était analysée lors de réunions périodiques; en
1980 une consommation excessive de carburant sur le DC8-62 affecté
aux T.S a même entrainé des débats passionnés sur les causes de
cette anomalie : …. « Vos pilotes tiennent peut-être mal le MACH »
…m’avait susurré l’ingénieur d’UTA-Industries alors que les relevés
dont nous disposions à l’Esterel apportaient la preuve du contraire;
l’enregistreur de vol a même été analysé et il fallut reconnaître
que la tenue de vitesse était parfaite. Au final, après plus de 6
mois d’audit technique, il s’est avéré que la servocommande de
direction avait un neutre mal réglé et que le pilote automatique
devait corriger constamment en roulis et en lacet faisant «
marsouiner » lentement l’avion tout au long du vol.
C’est durant ces années de 1966 à 1975 que les vols ont été les plus
« pointus » avec des atterrissages mémorables à HAO les réservoirs
presqu’à sec ou en limite vent de travers sans réserve de
dégagement, ou bien avec un balisage de fortune ou sans GCA. Par la
suite l’installation de centrales à inertie puis le remplacement des
DC855 par des DC862 aptes à recevoir la remotorisation en réacteurs
CFM56 allait alléger notablement les risques.
Des missions longtemps mal
connues dans l’armée de l’air
Ces vols qui s’effectuaient en normes
opérationnelles et en combinaison de vol sont restés longtemps mal
connus de l’armée de l’air (4) car ils n’avaient pour témoins que «
l’employeur principal » ( la DIRCEN et le CEP), les cadres «
habilités » de la compagnie assistante UTA et les quelques officiers
contrôleurs du CO du TAM qui en suivaient le déroulement. Les DC8 de
l’Esterel étaient plutôt connus comme « avions à moquette » sur la
ligne passagers Paris-Papeete via Los-Angelés que sans sièges avec
13 palettes et un cockpit protégé par un filet anti-crash.
Il faudra attendre la montée en puissance des missions de
participation aux opérations extérieures et notamment les opérations
MANTA et EPERVIER au TCHAD en 1983-1985 durant lesquelles les
équipages ont travaillé en étroite symbiose avec leurs camarades des
autres unités de l’armée de l’air engagées, pour que le DC8 trouve
sa vraie place au sein du dispositif aérien de projection des
forces.
En conclusion il faut se réjouir qu’aucun accident n’ait jamais
troublé le bon déroulement de ces Transports Sensibles, souligner
l’efficacité de la coordination UTA (puis AIR France)-DIRCEN-COTAM
et l’engagement des équipages de l’Esterel à l’abri des caméras car
les vols étaient bien évidemment hautement classifiés.
(1)- le DC8F55 équipé de réservoirs de bord d’attaque avait une
moins bonne autonomie que le 707F PELICAN mais ses performances au
décollage de Pointe-à-Pitre permettaient l’emport d’une charge
offerte supérieure.
(2)- Direction des Centres d’essais nucléaires implantée à
Villacoublay
(3)- Centre d’expérimentations du Pacifique comprenant les atolls de
Fangatofa et de Mururoa, et la base logistique d’HAO; le
commandement était installé à TAHITI.
(4) – peu d’ouvrages historiques sur le Transport aérien militaire
parlent de ces missions.
Enfin l’heure de
décollage de Pointe-à-Pitre devait toujours permettre au moins 3
heures de vol de nuit avant l’atterrissage à HAO, le point fait au
sextant étant plus précis de nuit. N’oublions pas qu’il faudra
attendre les années 1975 pour voir les centrales à inertie
installées sur DC8.
Au bout de 8 heures de survol maritime lorsque l’on recevait enfin
le « beacon » d’HAO (dont la puissance a été plusieurs fois
améliorée) et que l’atoll de TATAKOTO apparaissait sur l’écran
radar, les langues se déliaient et les visages se décrispaient.
Si les vents étaient plus forts que prévu, tout écart par rapport à
la route, tout supplément de consommation par rapport à celle prévue
pour le nombre de Mach Long Range (qui diminuait tout au long du
vol) non seulement augmentait l’altitude à laquelle le dégagement
restait possible mais aussi allongeait le segment de vol durant
lequel aucun terrain de secours ne pouvait être atteint en cas de
dépressurisation (« trou » qui a pu atteindre 2 heures sur certains
vols).
Enfin, la « chasse » au gain de charge offerte sur l’étape la plus
critique a conduit à alléger le plus possible les équipements
laissés à bord et à faire mettre en place par voie maritime un
carburant « lourd » ce qui permettait d’améliorer le tonnage
embarqué avec les pleins complets; il a fallu aussi disposer de
kérosène mieux protégé contre le givrage afin de limiter les risques
d’extinction aux hautes altitudes que pouvait atteindre l’avion car
il était très léger en fin de vol; ceci est arrivé une fois en 1980
avec l’extinction des 4 réacteurs en fin de croisière au dessus de
40.000 pieds altitude peu fréquentée en général par les avions de
ligne de ce type (pour rassurer le lecteur l’atterrissage s’est
déroulé sans encombre après avoir rallumé les 4 aux altitudes plus
faibles).